Lagasnerie : radical cheap

Printemps Républicain
5 min readJan 26, 2018

Nous avions remarqué depuis un moment que Geoffroy de Lagasnerie était une caricature. Mais une caricature de quoi au juste ? C’est sans doute cette perplexité qui nous a conduits à ne pas nous pencher sur son cas jusqu’à présent, comme il semble s’en attrister dans le petit texte plein de délicatesse et de nuance qu’il nous consacre sur Facebook. Ainsi, selon le sociologue sans études sociologiques, tel un curé sans paroisse, nous serions une espèce de « KKK culturel » visant à « imposer la suprématie blanche dans le champ culturel ». Rien de moins.

Il y aurait matière à faire condamner l’auteur de ces propos pour diffamation mais nous n’en ferons rien. L’injure qu’il fait à l’intelligence est infiniment plus grave que l’offense faite au droit. Et quant à la peine qu’il mérite, celle du ridicule qui, à la différence des balles des jihadistes, ne tue pas, il se l’est déjà infligée maintes fois à lui-même, bien avant de nous attaquer, par ses multiples saillies à l’ego boursouflé sur son « oeuvre » ou , plus sérieusement, comme le jour où il a tenu à expliquer les attaques terroristes du 13 novembre 2015 par le côté intimidant des terrasses de café pour les jeunes des quartiers populaires d’origine immigrée.

C’est là tout son problème : il voudrait être noir, comme le chantait Nino Ferrer — chanson contre laquelle il ne manquerait d’ailleurs pas de signer une tribune courroucée si une radio se risquait à la diffuser de nos jours. Comme plusieurs de ses semblables, il semble vivre comme une malédiction le fait de n’être que ce qu’il est : un dominant, pour parler son langage pauvre et stéréotypé. D’où chez lui, chez eux, cette obsession permanente de la « race » qui ne serait que pathétique si elle n’était pas aussi dangereuse dans les effets politiques et sociaux qu’elle produit : déshumanisant et classant les êtres dans des catégories aussi rigides qu’absurdes au regard de la variété des expériences (qu’est-ce précisément qu’un « blanc » ? un « noir » ? un « racisé » ?) ; leur déniant tout droit à une existence autonome et libre d’attaches identitaires. C’est là le vrai racisme, en somme, réinventé, et paré des couleurs d’un antiracisme aussi inefficace qu’il est vociférant.

On comprend que nous le plongions dans le désarroi. Le Printemps Républicain est un mouvement universaliste dont les membres n’ont pas besoin de chanter des odes au multiculturalisme tous les matins, pour la raison simple que la pluralité des identités, ils en sont issus et ils la vivent, comme une richesse, et non comme une succession de tribunes indignées et d’ateliers « non mixtes ». C’est d’ailleurs l’une des principales raisons pour lesquelles nous combattons, avec la même détermination et le même engagement, les obsessions identitaires de l’extrême-droite et celles de ce gauchisme d’estrade qui joue sur les peurs, instrumentalise les discriminations et assigne des populations entières dans un statut de victime, parlant à leur place sans vergogne.

Le Printemps Républicain défend les valeurs progressistes, précisément là où toute une partie de la gauche les a abandonnées, en refusant qu’on réduise les êtres à leur religion ou à leur couleur de peau. Et lorsque nous critiquons, publiquement, à partir de faits établis, telle personne ou telle organisation, ce sont des idées que l’on cible, jamais une supposée appartenance, telle ou telle identité. Et s’il y a bien une chose qui ne nous fait pas rire, du tout, dans la prose boursouflée d’un Lagasnerie, c’est qu’elle signe de manière dramatique l’abaissement et le confusionnisme intellectuels d’une petite camarilla de clercs qui protègent leurs privilèges médiatiques et académiques en exploitant une misère sociale à laquelle la plupart ne connaît rien.

Chacun peut se poser la question : où ces gens mènent-ils les étudiants, notamment, dont ils ont la responsabilité ? Des étudiants qui aujourd’hui censurent Charb, qui demain organiseront des colloques en « non mixité racisée » (sic) et après-demain refuseront d’écouter un professeur qui leur enseignera autre chose que ce qu’ils croient. Où ? Sinon à devenir des petits soldats décérébrés et disciplinés de cette armée de déclassés de l’université, sans conscience ni rapport à la réalité, de militants sans savoir qui se pensent indifféremment journalistes ou sociologues ? Pour ces pseudo-intellectuels bien mis qui mènent le jeu identitaire pour leur propre profit et leur petite gloire, le risque n’est pas bien grand de jouer au jeu des « races » qui s’affrontent. Mais pour ceux qu’ils entraînent et aveuglent ainsi ? Qu’arrivera-t-il à cette nuée de commissaires politiques en herbe si, par exemple, demain l’extrême-droite gagne cette guerre identitaire qu’ils attisent chaque jour ?

Voilà ce à quoi tous les Lagasnerie ne pensent pas. Voilà ce que leurs œillères les empêchent de voir. Ceux qui ricanaient à l’idée qu’on puisse tuer en France pour le jihad ou qui roulaient des yeux exaspérés après le premier attentat de Charlie Hebdo car « ils l’avaient cherché », ceux qui s’indignaient encore que l’on ose parler de résurgence de l’antisémitisme après le martyr d’Ilan Halimi.

Alors nous faire traiter, une fois encore, une fois de plus, de « suprémacistes blancs » ne nous émeut pas. Car ce genre de petite polémique fétide, qu’essaie laborieusement de lancer aujourd’hui un Lagasnerie, n’est pas à la hauteur des enjeux.

Nous nous battons pour retrouver de la raison, de la pluralité et de l’ouverture d’esprit dans le débat public. Nous nous battons pour la liberté d’expression à l’heure où l’on cherche, une fois de plus, à censurer Charb et à dénigrer Charlie Hebdo. Nous nous battons pour la dignité et l’égal accès de tous à la parole et aux responsabilités, et nous avons la faiblesse de penser que notre mouvement, dans la richesse de sa diversité, respecte cette promesse-là où d’autres ne font que postuler et pérorer. Nous nous battons aussi pour que, dans le champ culturel et intellectuel où les Lagasnerie « déconstruisent » en circuit fermé, on retrouve un minimum de bon sens, de goût du travail et de respect des faits. Nous nous battons pour que personne dans le débat public, du responsable associatif qui lutte contre la dérive identitaire dans son quartier à l’étudiant qui refuse les injonctions à la non mixité sous couvert de sciences sociales, ne se laisse plus intimider par ces adjudants zélés d’une pensée conforme et confisquée.

Et qu’on se comprenne bien, une fois pour toutes : la censure n’est ni dans notre intention ni dans nos pratiques. Seul importe le combat pour nos idées et au nom de nos principes. Nous n’avons jamais demandé, nous, l’interdiction de quoi ou de qui que ce soit dans le débat public, sinon ce qui tombe sous le coup de la loi. Au contraire, qu’ils se répandent ; qu’ils rendent leur honte plus honteuse encore en la livrant à la publicité, comme disaient les situationnistes. Quant à nous, nous traçons notre route sereinement, loin des aigreurs et des impostures.

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